Sacré en mai dernier de la prestigieuse Palme d'or cannoise, Anora de Sean Baker sort enfin sur nos écrans et revisite le mythe de Cendrillon de manière cynique et contemporaine.
Sacré en mai dernier de la prestigieuse Palme d'or cannoise, Anora de Sean Baker sort enfin sur nos écrans et revisite le mythe de Cendrillon de manière cynique et contemporaine.Il était une fois, dans un quartier de Brooklyn, une jeune stripteaseuse qui avait pour prénom Anora. Pour arrondir parfois ses fins de mois, celle qui s'est renommée Ani vend ses services, en tant qu'escort girl, à certains clients du club. Ce qu'elle fera avec Vanya, une sorte de Timothée Chalamet hyperactif et fils d'un oligarque russe. Le jeune homme, qui parle à peine anglais, passe ses journées à fumer des joints et ses nuits à faire la fête.
En parlant de lui…
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Alors que Vanya paie Ani pour vivre une semaine de débauche à ses côtés, les deux tourtereaux finiront par tomber amoureux et par se marier à Las Vegas lors d'une soirée bien arrosée. Alors que la jeune femme se projette dans une vie de princesse ayant rencontré son prince charmant, son bonheur sera de courte durée lorsque la nouvelle du mariage arrivera aux oreilles de ses nouveaux beaux-parents. Ceux-ci, en colère, n'hésiteront pas à envoyer des sbires afin de faire invalider ce mariage au plus vite.
Quelque part entre Cendrillon et Pretty Woman, Anora revisite le mythe du conte de fées, sous la forme du drame social et de la comédie rocambolesque. Car oui, le film est parfois très drôle, et évoque par bien des aspects le cinéma des célèbres frères Coen (Burn After Reading, The Big Lebowsky).
Derrière la caméra, on retrouve le cinéaste Sean Baker, figure du cinéma indépendant américain qui a réussi à se forger une solide réputation depuis une bonne dizaine d’années. En effet, le réalisateur s'est déjà retrouvé par trois fois au Festival de Cannes au fil de sa filmographie, avec The Florida Projet en 2017, Red Rocket en 2021 et Anora en 2024 qui lui a valu la Palme d'Or.
La bande-annonce:C'est un beau roman, c'est une belle histoire, c'est une romance d'aujourd'hui, comme souvent dans le cinéma de Sean Baker. En effet, le réalisateur new-yorkais a une patte particulière pour raconter avec tendresse le quotidien des plus précaires. Ici, Ani, cette jeune travailleuse du sexe qui a quitté sa Floride natale, fait partie de cette frange marginale qui ne peut compter que sur elle-même et qui rêve de sortir de sa condition. Une femme au caractère bien trempé et pourtant terriblement attachante, interprétée avec maestria par l'actrice Mikey Madison, révélée dans Once Upon a Time in Hollywood (2019) et Scream V (2022).
Le personnage d'Ani reflète à merveille une certaine jeunesse d'aujourd'hui, que les fans de la série Euphoria reconnaitront: une génération à la recherche de gloire et d'argent facile, à la sexualité libérée, mais mécanique, et dont la sensibilité se cache derrière une épaisse carapace.
Anora évoque, en première partie, le film Pretty Woman (1990) qui fit de Julia Roberts une star. Une comédie romantique entre une travailleuse du sexe et son client riche incarné par Richard Gere où les sentiments vont aller au-delà de la condition. Contrairement à ce film culte des 1990, Anora ne tombe jamais dans les pièges du stéréotype et du cliché. Le réalisateur a d'ailleurs collaboré de concert avec des travailleuses du sexe afin d'y inclure le plus de véracité possible dans leur représentation.
Il y a dans la vision de Sean Baker une approche quasi documentaire lorsqu'il s'agit de montrer la réalité parfois crue, en langage comme en images, du quotidien de ces gens en quête d'espoir et de ces ultrariches qui peuvent le retirer d'un claquement de doigts. C'est précisément là que le long métrage change totalement de ton. Cette comédie romantique se transforme alors en une course contre-la-montre comique, entre New York et Las Vegas, afin d'annuler le mariage entre Ani et Vanya. Sauf que l’humour cache insidieusement quelque chose de terriblement mélancolique.
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C'est dans sa deuxième partie, lors d'une longue virée nocturne à la recherche de Vanya, que le film se révèle sur le plan du burlesque. En effet, le jeune homme étant plus un ado immature et pathétique qu'un gentleman, il n'hésite pas à prendre la fuite lorsque ses parents découvrent qu'il s'est marié avec une escort. Le film prend alors la forme d'une virée nocturne à la recherche de l'héritier, avec une Ani à semi-séquestrée par les sbires de cette famille, dont les employés sont plus maladroits les uns que les autres.
Et comme personne n'est aussi à l'aise que Sean Baker pour humaniser ces personnages, il s'avère que toute cette clique au service de l'oligarchie se compose de portraits que le cinéaste va rendre attachants. Cette course folle dans les rues de Brooklyn où la pauvre Ani se fait rattraper par la réalité est un des moments les plus jouissifs du film.
Grâce à sa mise en scène stylisée et rythmée, ses personnages authentiques à la répartie acérée et ses séquences comiques, le réalisateur parvient à tenir son spectateur en haleine et sans temps morts durant ce voyage au bout de la nuit. Mais sous ses airs de comédie, le film n’en demeure pas moins une critique féroce de notre société dominée par le sexe, le pouvoir et l’argent. Dans cette Amérique où les castes ne se mélangent pas et les rêves ne réalisent que pour quelques-uns, le film nous transporte autant par sa tendresse que par son humour noir. Pour cela, Anora n'aura pas volé sa Palme.
«Anora» de Sean Baker est sorti dans les salles romandes le 30 octobre 2024. Durée: 2h 19min
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2024-10-30T18:15:02Z