DES FILMS QUI EXPLORENT DES FRONTIèRES BRûLANTES

Pour la troisième année consécutive, un métrage suisse, «The Landscape and the Fury», remporte le Grand Prix du festival de cinéma nyonnais.

Le cinéma suisse a le vent en poupe à Visions du Réel. Pour la troisième fois de suite, c’est un film helvétique qui remporte le Grand Prix de la catégorie reine, la Compétition internationale longs métrages. Après «L’îlot» de Tizian Büchi en 2022 et «While The Green Grass Grows» de Peter Mettler l’an dernier, c’est «The Landscape and the Fury», de Nicole Vögele, qui décroche cette année la timbale avec un jury composé de Carlo Chatrian, ex-directeur artistique de Locarno et de Berlin, de la cinéaste Carmen Jaquier et de la productrice Dora Bouchoucha.

Difficile d’accès par sa lenteur assumée et ses longs plans fixes sur des paysages oscillant, selon les saisons, entre charmes campagnards et confins lugubres, le film – qui profite d’une très belle photographie – développe sa logique par longues touches jusqu’à ce que le spectateur comprenne qu’il se trouve à la frontière entre le nord de la Bosnie-Herzégovine et la Croatie. Dans les environs de ce village proche de la frontière, des migrants cherchent à rejoindre l’Europe de l’Ouest.

Route clandestine

Sur cette route clandestine, ces exilés qui semblent venir d’aussi loin que l’Afghanistan traversent des forêts de nuit, ce que restitue dès l’ouverture de son film la réalisatrice, caméra tremblante à la main dans une pénombre angoissante. Il s’agit d’éviter la police, synonyme de renvoi mais aussi de vol, d’exaction, comme en témoignent parfois des hurlements nocturnes ou des documents et des vêtements retrouvés dans les tapis de feuilles humides.

Dans cette lente progression au cœur des ténèbres de l’exil, «The Landscape and the Fury» lève aussi un voile sur les populations locales, femmes qui discutent de l’aide apportée à des marcheurs affamés ou hommes qui discutent des derniers événements. Plane alors sur cette campagne aux apparences bucoliques un autre spectre: celui de la guerre des Balkans. La région est encore truffée de mines et les souvenirs des combats, des morts et des mutilés sont encore vifs.

Il faut un certain temps pour se laisser emporter par le film en forme de lancinante incursion de celle qui est aussi journaliste pour la télévision alémanique, mais «The Landscape and the Fury» parvient à créer un climat prenant où la banalité rurale laisse transparaître une histoire, des menaces invisibles et une globalisation aux conséquences tentaculaires.

Le circuit des festivals

«C’est un très grand film, qui se déploie au fur et à mesure qu’on avance avec lui, avec énormément de force, d’ambition et de précision, commente Émilie Bujès, directrice artistique de la manifestation. Il va incontestablement faire un très beau et long parcours dans le circuit des festivals et contribuer ainsi à la richesse et à la diversité du paysage cinématographique international.»

Du côté de la moins classique catégorie Burning Lights, réunissant des métrages bousculant les règles établies, «A Fidai Film», de Kamal Aljafari, remporte la compétition, un an après un «Knit’s Island» qui a su se faire remarquer après sa distinction à Nyon et sort actuellement en France au milieu d’un beau battage médiatique.

Le film palestinien de cette édition fait écho à l’actualité guerrière du moment, rappelant comment les archives du Centre de recherche palestinien de Beyrouth ont été pillées en 1982 par l’armée israélienne. Par des voies formelles proches du collage et la citation d’archives, «A Fidai Film» parvient à évoquer un épisode douloureux par des trouvailles visuelles aussi inventives que poétiques. Un rappel vertigineux et une récompense qui tombe à un moment crucial.

Quant à la Compétition nationale, elle récompense un «Brunaupark» que «24 heures» n’avait pas estimé à la même aune que le jury de Visions… Les jurés se sont montrés sensibles à ce film de Felix Hergert et Dominik Zietlow, partis à la rencontre des habitants d’un quartier de Zurich menacés par la Caisse de pension de Credit Suisse. Une critique sévère ne peut ainsi corrompre la ligne d’un jury, et c’est tant mieux.

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