LES JOURNéES PHOTOGRAPHIQUES DE BIENNE FOUILLENT LE BANAL

Avec une 27e édition baptisée «Commonplaces», la manifestation se tourne vers l’ordinaire et c’est extra.

Le cours ordinaire des choses oblige le regard à s’aiguiser pour découper d’autres perspectives dans les apparences du quotidien. C’est l’option qu’ont prise les Journées photographiques de Bienne pour leur 27e édition. Sous le titre «Commonplaces» («lieux communs»), elles entendent déjouer la surenchère visuelle de notre temps soumis au sensationnel, aux diktats flashy et aux excès en tous genres.

Le banal est donc à l’honneur à Bienne. Pas forcément dans les façons d’aborder certains sujets qui se révèlent souvent d’autant plus inventives que le thème approché a été rabâché, mais dans la volonté persistante de revenir à des réalités plus terrestres, sociales, matérielles, politiques.

Retour documentaire

Cette manière d’assumer un certain retour au documentaire a le double avantage d’esquiver à la fois les délires numériques – d’excentriques, elles gagnent parfois aujourd’hui une centralité problématique, comme le rappelait l’édition biennoise de l’an dernier, «Physicalities» – que les concepts abstrus de l’art contemporain, oscillant entre vacuité assourdissante et témoignage victimaire.

Parmi les 23 expositions proposées cette année, certains remplissent mieux que d’autres le programme affiché. On en trouve un excellent exemple avec le travail de Nina Ferrer-Gleize, «L’agriculture comme écriture» au Nouveau Musée Bienne.

La jeune Française y élabore de nouvelles représentations du monde agricole, dans le cadre de l’exploitation de son oncle en Ardèche. Par de légers décalages de point de vue, l’isolement de certains détails (les blocs de sel sculptés par la langue des vaches), mais aussi par la présentation de certains documents (relevés de trajets journaliers par GPS, contrats) et l’intrusion d’objets (une bâche), elle parvient, comme elle le dit elle-même, à s’extraire «des représentations figeantes» qui encombrent l’imaginaire agricole. Une belle «écriture» qui renouvelle en douceur l’image que l’on peut se faire du monde paysan.

La volonté d’ouvrir l’angle ou de déjouer les représentations convenues se retrouve dans plusieurs projets. Il y a par exemple le «Big Fish» de Laurence Kubski au Grenier où la Fribourgeoise explore d’un bout à l’autre la filière du poisson d’aquarium – 3e animal de compagnie préféré des Suisses! –, des passionnés aux pêcheurs indonésiens, en passant par les grossistes bâlois. Son enquête met en lumière une chaîne commerciale tout sauf anecdotique qui pose notamment de nombreuses questions écologiques. Coloré mais presque inquiétant.

Du pain et des jeux

Il y a encore la proposition originale de Lalie Thébault Maviel, exposée en placards sur la promenade de la Suze, qui mord dans un produit ultracourant: le pain. Du grain de blé à l’univers de la mode, du pétrissage à la religion, la Française passe en revue toutes sortes de champs où le pain, bonne pâte, inscrit ses valeurs nourricières de façon littérale ou à contre-courant.

La déclinaison visuelle d’Alice Pallot autour de la prolifération des algues, le reportage en immersion, très direct, de Tamara Eckhardt en Irlande, dans les quartiers défavorisés de Limerick ou encore le travail participatif de Rebecca Bowring avec des femmes âgées d’un établissement médico-social biennois se présentent comme autant de variations originales sur des thèmes connus, presque anodins, mais auxquels ces travaux confèrent une attention nouvelle.

Inquiétante normalité

Mention spéciale à l’inquiétante normalité de l’Américain Matthew Genitempo, dont les œuvres sont installées à la Gewölbe Galerie. Tout en retenue brouillardeuse, le photographe texan est parti à la rencontre d’ermites vivant dans l’Arkansas et le Missouri. Avec ses tirages en noir blanc au léger effet de virage, il donne à voir ces retirés du monde sur des teintes spectrales du plus bel effet.

Cette année, la ligne annoncée est particulièrement bien tenue et il est possible de lire la plupart des projets à la lumière des intentions affichées. Même les plus abstraits finissent par prendre des allures prosaïques, comme les carrés de couleur de F&D Cartier, qui s’avèrent tout bonnement être des papiers photosensibles d’époques et de provenances diverses exposés à la lumière. Ou les caractères typographiques prélevés à même le réel par le photographe Luca Massaro, collectionneur de ces mots-images récoltés avec son appareil.

Mais le banal ne résiste finalement pas à l’examen puisqu’il souligne avant tout le regard des artistes qui, où qu’il se pose, se doit d’être singulier.

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