PIERRE NINEY EST PéNIBLE

Heureusement, c'est pour le bien d'un faux making-of de film, produit par Netflix et qui sort mardi. Dans la série Fiasco, Pierre Niney incarne un loser professionnel qui se rêve cinéaste. Le tournage est un enfer, son actrice principale le traite de «salope», un corbeau le fait chanter et sa grand-mère le déteste. C'est affreusement drôle et beaucoup moins con qu'il n'y parait.

Nom d'une pipe. Aurait-on enfin droit à du The Office à la française? Un de ces ovnis drôles, parce que crédibles, où l'on reconnait les traits insupportables d'un proche dans le personnage principal? Un machin absurde mais pas que, tellement bien écrit et incarné qu'on s'en taperait le cul par terre? De quoi remiser les comédies de Christian Clavier au placard?

Pour ceux qui seraient parvenus à survivre sans avoir bouffé tout cru la série The Office, sachez qu'on y suit le quotidien beaucoup trop ordinaire d'une entreprise de vente de papier, dont le patron fourgue des frissons tant il collectionne les défauts. Portée par Ricky Gervais au Royaume-Uni et Steve Carell aux Etats-Unis, cette série à jamais irremplaçable est un faux documentaire qui, à la manière d'un safari et quand c'est bien fait, permet d'approcher de très près la bêtise humaine.

Mot d'ordre: le malaise, élevé au rang d'œuvre d'art.

Pierre Niney affirme avoir volontairement pris (un peu) de poids pour incarner Raph, un trentenaire planqué sous un pull moche et une coupe au bol. Une «merde sans aucun charisme» qui va finir en tôle parce que rien ne lui réussit. Et surtout pas la vie. Raph est réalisateur. Disons plutôt que c'est un rêve qui devrait être sur le point de se réaliser, puisqu'il tourne enfin son premier long-métrage. Et pas n'importe lequel. Une fresque trop grande pour lui, basée sur le passé héroïque de sa mamie, une fière résistante qui a plus d'estime pour ses vaches que pour son petit-fils.

La bande-annonce:
Vidéo: youtube

Au sommet de ce (faux) casting, on trouve une belle et une bête, incarnés par Leslie Medina et Vincent Cassel. Pour Raph, vous pensez bien, c'est le point culminant d'une misérable existence. Et l'occasion de s'offrir une revanche. Au point qu'il aura la mauvaise idée d'immortaliser ce tournage, dans un making-of qui deviendra (forcément) le témoin gênant d'un véritable... Fiasco. Bonne surprise, cette nouvelle série, produite par Netflix et disponible mardi, ne porte pas seulement bien son nom. Elle hisse l’immense talent comique d’un Pierre Niney au sommet d'un genre qui, Ô joie, est de plus en plus français: l'absurde.

Attention, ce personnage n'est pas l'antihéros typique ou l'un de ces losers magnifiques qu'on finit par aimer très fort, malgré les défauts de fabrication. S'il est aussi soporifique, gênant, ringard, collant, pesant, c'est précisément parce qu'il fait tout pour ne pas l'être. Hélas, on en connait tous. Et il n'y a rien de pire que des boulets qui tentent d'être une meilleure version d'eux-mêmes, alors qu'ils dansent à côté du rythme depuis la naissance.

Un aspirateur à gifles qu'on ne côtoierait même pas en peinture, mais qu'une équipe de tournage doit se coltiner de près, le poing serré en fond de poche, bientôt réduite à assister au désastre. En l'occurrence, la chasse improbable au corbeau, un «ver dans la pomme», un «traître» qui réclame 50 000 euros pour ne pas diffuser une vidéo dans laquelle Raphaël se dévoile en «gros porc», «injurieux et misogyne».

(On n'en dira pas plus.)

Pourquoi ça fonctionne?

Parce que c'est écrit avec une souplesse rare. Parce que c'est joué à la perfection. Parce que Pierre Niney se lâche complètement dans ce personnage qu'il nomme lui-même son «clown». Comme Benoît Poelvoorde, Jean Dujardin, Édouard Baer ou plus récemment Raphaël Quenard, ce surdoué de 35 ans s'autorise à faire l'andouille, sans jamais s’en contenter. Quitte à déplaire au Monde ou au Figaro, froissés par ce soi-disant «gâchis». C'est con, parce que la prestigieuse Comédie-Française lui a précisément offert l'aisance nécessaire pour mitrailler son humour avec une aisance rare.

Fragile et monumental dans Yves Saint-Laurent en 2014, ce freluquet surdoué tournait simultanément une série de capsules grotesques, pour Canal +, dans lequel il se fait notamment insulter par une Marion Cotillard qui s'essaie au hip-hop.

Souvenez-vous:
Vidéo: YouTube/Studio Bagel

Tout ça n'est pas tout à fait un hasard.

Derrière Casting(s) et Fiasco, mais aussi les films Cash et Five ou la série Family Business, se cache un certain Igor Gotesman, 38 ans, scénariste, réalisateur, comédien. Un type particulièrement dégourdi qui sait sublimer le malaise, avec des répliques sauvages et une justesse qui fait monter les larmes (de rire).

Un discret virtuose qui adore traîner avec les meilleurs du genre. Jonathan Cohen, bien sûr, mais aussi ces deux préférés: Niney et François Civil. Ce dernier, un beauf sublime, est d'ailleurs chargé de sauver le tournage cauchemardesque de son pote Raph, en incarnant un (faux) producteur plein aux as. C'est fougueux, agile, débrouillard, jouissif, jubilatoire et affreusement drôle.

Plusieurs décennies après la mainmise justifiée d'Alain Chabat, l'absurde made in France peut décidément compter sur une relève qui a du souffle. Il y a du Mission Cléopâtre et de La Flamme, dans Fiasco. Et du Steve Carell dans ce Pierre Niney irrésistiblement pénible.

Car ce n'est pas tous les jours que l'on peut se vanter d'avoir réussi un The Office à la française.

> Fiasco, sur Netflix, disponible le 30 avril 2024

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