«POUTINE EST UN MAFIEUX»: L'EX-ROI DES NUITS MOSCOVITES RACONTE

Un livre de Jean-Michel Cosnuau parle des années 2000, d'une Russie en plein essor postsoviétique. Un récit furieux qui amène des réflexions sur l'état du pays et du chef du Kremlin, qualifié de «parrain de la mafia».

Le Mage du Kremlin avait secoué le cocotier de la littérature francophone. La plume de Giuliano Da Empoli y décrivait une poudrière politique prête à s'embraser. Ensuite, il y a eu Z comme Zombie, de Iegor Gran, et sa réflexion intransigeante sur la propagande qui gangrène les Russes, l'encéphale ramolli par les discours nationalistes criant au nazisme du voisin.

Aujourd'hui, un ouvrage supplémentaire vient raconter la sombre Russie poutinienne. Il est signé par Jean-Michel Cosnuau, ex-roi des nuits moscovites dans les années 2000. Le Français, un temps directeur d'une agence publicitaire à Paris, a décidé de tout quitter après la mort subite de sa femme dans un crash aérien. Il s'envole pour la Russie, pays encore sonné par les chamboulements politiques.

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Après le choc de la chute de l'URSS, un nouvel ordre s'échafaude dans le chaos. Cosnuau monte, au milieu de cette cacophonie, un empire de boîtes de nuit et de clubs de strip-tease. Il se convertit à la religion orthodoxe, se laisse happer par ses lectures, vit au jour le jour dans une Russie de tous les possibles. Une aubaine pour «le libertarien dans l'âme qu'il était», avouait-il dans L'Express.

La folie postsoviétique

Mais qui dit vie nocturne, surtout en Russie postsoviétique, dit pègre ou voyous. Il explique dans son ouvrage les rouages pour nager sans se noyer dans ce bassin d'eaux troubles. Le frenchie apprend vite dans le milieu des affaires locales à se protéger face à un business explosif qui peut l'envoyer entre quatre planches d'un claquement de doigts. Il expliquait au Point:

«Les flics, surtout le Gubop, le service de lutte contre le crime organisé, étaient une mafia à plein temps. Aujourd'hui, c'est le FSB qui tient la corde»

A la tête d'une vingtaine de clubs, Cosnuau commence à voir son nom devenir connu auprès des pontes russes. Au fil de ses rencontres, comme il le raconte dans un entretien passionnant paru dans L'Express, il pouvait compter sur une protection à Moscou «par un haut responsable du GRU, le service de renseignement militaire».

Protégé par le FSB, il se lance dans la création d'un club nommé le 19, juste en face de la Loubianka, ex-siège du KGB et aujourd'hui celui du FSB. Le début des crasses pour Cosnuau, voire le début de la fin.

Les lieux sont fréquentés par des hommes importants, des personnalités. Dimitri Peskov, actuel porte-parole du Kremlin, Dominique Strauss-Kahn, Vincent Cassel, Sylvain Tesson, Frédéric Beigbeder ou encore Lady Gaga (partie deux fois sans payer l'addition) ont poussé les portes du temple nocturne. A l'intérieur, défilaient les «siloviki», les hommes qui forment la colonne vertébrale de la propagande poutinienne, venus profiter des nuits décadentes moscovites.

C'est là qu'intervient un homme de l'ombre: Oleg Feoktistov, surnommé «l’éminence grise», qui a pris en mains l’USB-FSB, en charge de l’anticorruption - qui, selon le Français, revient à virer les clans adverses pour y mettre ses propres éléments. Proche d’Igor Setchine, l'ancien agent est très discret, il est l’un des hommes les plus puissants du système Poutine à ce jour. Cosnuau explique qu'il a été la victime indirecte des deux hommes qui l'ont forcé à fuir Moscou.

Dans l'oeil du FSB est une virée, une sorte de serpent de mer ondulant dans les sombres recoins d'un pays mené, selon l'écrivain, par un mafieux davantage préoccupé par ses propres intérêts que par le peuple qu'il guide. Au coeur du système de Poutine, Cosnuau met notamment en lumière Nikolaï Patrouchev, cet idéologue ultranationaliste qui injecte une haine de l'Occident en Russie.

Nikolaï Patrouchev, ombre de Poutine et «homme le plus dangereux de Moscou»

Les premières pages éclairent l'ambiance qui se dégage de cette prison à ciel ouvert charpentée par le gouvernement du tsar. Si Cosnuau (et le peuple russe) se bichait de vivre dans cette liberté retrouvée après des décennies de communisme, elle a été supprimée, jetée en pâture par la mégalomanie d'un homme.

«La fenêtre des libertés s'est progressivement refermée, au fil des crises et des humeurs du Maître du Kremlin»

- Extrait de Dans l'oeil du FSB -

Le Tout-Moscou se pressait entre les murs du club 19. Une trop grosse machine qui va écraser le Français, l'obligeant à prendre la poudre d'escampette après que son «toit» ne se soit effondré. Ça sent le roussi et les Russes décident d'émettre un mandat d'arrêt contre le Français.

Stoppé dans sa cavale à Casablanca, il passe dix mois en prison au Maroc, avant d'être extradé vers Moscou et emprisonné à Butyrka. En 2019, lors de son procès, il hérite de 30 mois de prison, mais ressort libre. Ses assignations à résidence et son passage derrière les barreaux au Maroc et en Russie ont joué en sa faveur.

Des officiers russes qui ne pensent qu'au fric

Désormais installé en Géorgie, Cosnuau, dans ses 224 pages, déroule vingt années folles, tisse un récit passionnant, délirant, vertigineux. Surtout, il amène un regard périphérique sur les sbires de Poutine.

Toujours dans L'Express, il explique que la plupart des membres du FSB sont «n'ont même plus ce sens patriotique qu’avaient leurs aînés. Ils ne pensent qu'à s'enrichir». Lors d'un échange en 2020 avec un officier de sécurité russe, il relate une conversation infiniment représentative d'un peuple qui accepte l'ordre établi tout en détestant leur leader:

«Personne n’y touchera (réd: à Poutine). Qui a envie du pouvoir à ce moment précis? Qui voudrait mettre sa signature sur une éventuelle capitulation à l’avenir, renoncer aux régions annexées en Ukraine»

- Jean-Michel Cosnuau dans L'Express -

L'ouvrage est une intense exploration du système étatique. Cosnuau, spectateur aguerri de ce panier de crabes, nous ébauche cet état mafieux, là même où Poutine s'érige comme un parrain. Cosnuau répond au média belge L'Echo de la sorte, qualifiant Poutine de «petit voyou de rue», osant même dire que «l’erreur de l’Occident a été d’envoyer des diplomates chez Poutine, il fallait envoyer Don Corleone».

«Poutine n’est pas une tête pensante. Ce n’est ni un grand stratège ni un fin géopoliticien»

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