«RIPLEY» TROMPE SON MONDE EN BEAUTé

Après «Mr Spade» et «Sugar», voilà une nouvelle série qui se veut noire à l’ancienne. Une réussite.

Pourquoi adapter encore «Ripley», un trésor de série noire ciselé par la romancière Patricia Highsmith? Le livre semble inépuisable tant son intrigue se noue sur des suggestions subtiles et des faux-semblants bluffants.

En 1955, la New-Yorkaise se défoule, outsider par excellence qui subit les critiques d'une société corsetée quant à son homosexualité, réfractaire à son anticonformisme. Son séjour en Europe, notamment au Tessin où elle finit ses jours en 1995, la libère – lire ses «Écrits intimes» parus chez Calmann-Levy pour savourer les ivresses de «la poétesse de l’appréhension».

La série des Ripley garde la marque farouche de celle qui auparavant s'obligeait à vivre ses romances lesbiennes sous pseudo. Paradoxalement, c’est cette folle liberté esquissée sous le manteau qui donne tout son cachet à la nouvelle adaptation, diffusée depuis le 4 avril sur Netflix, à la fois flamboyante et feutrée.

Delon, Damon…

Avant elle, ce Tom Ripley si mal dans sa peau, si anxieux d’en changer, a beaucoup inspiré. En 1960, dans «Plein soleil», le Français René Clément casse la gueule d’ange d’Alain Delon, alors beau gosse de 25 ans, en lui donnant le rôle. Il lui aura fallu bagarrer âprement avec ses producteurs, tant le rôle dépeint, un escroc qui fond sur sa proie, piteux flambeur américain exilé en Italie, tranche avec le jeune premier. Sa sensualité vire à la morsure carnassière. Mémorable.

En 1999, le Britannique Anthony Minghella rétablit la lourde glue sexuelle qui scotche dans le roman de Patricia Highsmith, cette homosexualité refoulée doublée de frustration latente venue du choc de classes sociales. Même si Matt Damon cache bien son jeu jazzy sous des airs poupins, «Le talentueux Mr Ripley» s'alanguit avec des perversités fitzgeraldiennes sur un yacht ancré dans la baie de Naples. Le héros s’y sent coincé, mal à l'aise dans ses assauts de charme poisseux et bientôt criminels.

Le Caravage en fil rouge

Au contraire, «Ripley» dans sa version donnée par Steve Zaillian prend ses aises, canalise le flot métaphorique du roman d’une manière moderne. Le Caravage, juste mentionné dans le polar, lie les épisodes comme un fil rouge symbolique. Pour mémoire, et un guide italien vient le rappeler à Tom Ripley dans la galerie Borghese à Rome, le peintre a peint un David et Goliath où il prête son propre visage aux deux protagonistes.

À la fois tueur et victime, l’artiste crée ainsi une triangulation métaphorique inédite. De quoi plaire à Ripley, faussaire de première, et de sa propre vie pour commencer. La série reviendra plusieurs fois sur l’argument esthétique, usant même d’une toile cubiste de Picasso comme fétiche.

Mais ces références, pas plus que l’usage du noir et blanc, ne tiennent du maniérisme «arty» pour donner à une production Netflix des allures de toile de maître. Qu’il s’agisse de filmer les ruelles amalfitaines, les canaux et les palais vénitiens, une barque balançant dans les eaux sombres de San Remo ou des statues romaines en contre-plongée, le procédé donne une ampleur à la carte postale.

Outre le fait de coller au roman noir, ce choix chromatique du chef opérateur Robert Elswit, ancien collaborateur du cinéaste Paul Thomas Anderson, accentue encore l'atmosphère sinistre de l’entreprise.

Fabuleux Andrew Scott

D’autres manipulations tendent à rendre l’épaisseur développée par Patricia Highsmith. Ainsi de personnages a priori secondaires qui cliquettent dans la machination infernale. Loin du gros beauf qui ressurgissait en ami intempestif au point de devoir l’éliminer, Steve Zaillian imagine un dilettante transgenre. Eliot Sumner, artiste qui se définit comme non-binaire, l’interprète avec toute l’équivoque requise. Dans ces décors vénéneux, l’enfant de Sting et Trudie Styler semble surtout le digne pote de Paolo Pasolini.

Concierge d’hôtel distrait ou inspecteur à la moustache spirituelle, tous semblent sortir de classiques néoréalistes italiens. Même le chat, créature si chère à Highsmith, en jette, décisif sur les escaliers de la logeuse.

Car l’amour de l’art, du beau geste, reste la grande affaire de «Ripley». Et ça, ce n’est jamais gratuit... Steve Zaillian s’en est énamouré au point d’acquérir les droits d’adaptation de ses aventures suivantes, «Ripley et les ombres», «Ripley s’amuse», «Sur les pas de Ripley» et «Ripley entre deux eaux».

Espérons voir le fabuleux comédien Andrew Scott visiter les villes grecques ou la campagne française, Londres, Berlin ou Tanger, au bras de riches héritières tout en magouillant avec la mafia et les marchands d'art.

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