ROLAND RATZENBERGER, 30 ANS D'OMBRE ET DE LUMIèRE

On lit ou entend parfois que du week-end d'Imola 1994, . Alors oui, il est certain que par sa carrière, son palmarès, son talent, son charisme et son destin, le Brésilien a touché plus de gens et que l'impact de sa mort a été plus important.

Mais la réalité, c'est que le nom de Ratzenberger est, dans cette tragédie que fut le week-end du Grand Prix de Saint-Marin, à jamais lié à celui de Senna, en dépit d'une carrière bien moins flamboyante. Parle-t-on aussi souvent de Ricardo Paletti, tué au départ du GP du Canada 1982 ? Parle-t-on aussi souvent de Tom Pryce, tué au GP d'Afrique du Sud 1977 ? Parle-t-on aussi souvent d'Helmut Koinigg, tué au GP des États-Unis 1974 ?

La réponse est non. Le paradoxe de la mort de Ratzenberger c'est d'être tout autant dans l'ombre que dans la lumière de la mort de Senna, d'être un peu plus qu'un nom supplémentaire sur la liste des pilotes tués au volant d'une Formule 1 en dépit d'un parcours passé loin des projecteurs.

Ayrton Senna et Roland Ratzenberger lors du GP d'Imola 1994.

Photo de: LAT Photographic

Mais, à vrai dire, qu'importe : un pilote comme Senna est une rareté, à la fois en F1 et dans le monde du sport automobile, quand un pilote comme Ratzenberger est bien plus proche du commun des mortels, bien plus en phase avec l'écrasante majorité des hommes et femmes ayant eu la chance de prendre le volant d'une Formule 1 en Grand Prix.

La mort de Senna en course, dans n'importe quelles circonstances ou n'importe quel contexte, aurait été une déflagration mondiale et durable. Mais celle de Ratzenberger auparavant, aussi petite était son empreinte sur la F1 à ce moment-là, a contribué à faire passer le week-end d'Imola 1994 au-delà de la simple fatalité, dans la dimension des évènements pouvant radicalement changer un sport. C'est aussi cela, 30 ans plus tard, l'héritage de ces deux disparitions et donc l'influence de l'Autrichien sur un championnat qu'il a à peine connu.

Une carrière dans l'ombre

Avant ce funeste 30 avril 1994, la carrière de Roland Ratzenberger avait été principalement passée dans l'ombre. Comme un symbole, l'un de ses succès les plus marquants, lors du Formula Ford Festival de 1986 à Brands Hatch, le classant d'emblée comme un pilote d'avenir, se déroula le jour où se décida le titre F1 dans une course à rebondissements où Alain Prost allait se jouer des malheurs pneumatiques des Williams de Nigel Mansell et Nelson Piquet pour l'emporter et être sacré pour la seconde fois de sa carrière.

Toutefois, l'Autrichien avait déjà 26 ans en 1986, même s'il se rajeunissait volontairement de deux ans afin de se donner plus de chances. Là où certains de ses amis pilotes, comme Johnny Herbert, allaient vite connaître les débuts en F1, la route allait se montrer bien plus escarpée pour Ratzenberger. En 1987, c'est en WTCC, à l'époque bien plus tourné vers l'Endurance que vers le sprint, qu'il poursuit sa route, pour le compte de BMW. Il s'agissait finalement de la première fois de sa carrière qu'il gagnait de l'argent, après avoir dû gravir les échelons sans soutien particulier.

Une fois les sponsors trouvés, il prit part à la F3 et à la F3000 britanniques, sans y signer de grandes performances mais en se montrant solide. Puis, à court de solutions, il se tourna vers l'Endurance afin de maintenir sa carrière à flots ; il disputa, entre 1989 et 1993, toutes les éditions des 24 Heures du Mans.

Surtout, en parallèle, il fit carrière au Japon, en Endurance, en tourisme mais également, à partir de 1992, en F3000. Financièrement, cette parenthèse allait s'avérer fructueuse pour l'Autrichien, qui allait devenir un pilier de l'équipe SARD Toyota. Mais c'est toujours et encore la F1 qui alimentait ses rêves, et le fait de voir ses amis Eddie Irvine et Heinz-Harald Frentzen y disposer d'opportunités dès la fin 1993 nourrissait son impatience. 

Rolan Ratzenberger au volant de la SARD Toyota 92C-V lors des 24H du Mans 1992.

Photo de: Andre Vor / Sutton Images

Il allait lui aussi avoir sa chance, au sein de la très modeste écurie Simtek. Pour cela, il a tout de même fallu qu'il soit aidé par Burkhard Hummel, alors manager de Gerhard Berger, et soutenu financièrement par Barbara Belhau. Mais à 33 ans (31 publiquement), il était finalement arrivé là où il voulait être, dans le pinacle du sport automobile. Restait encore à vivre l'expérience complète...

Car à l'époque, il ne suffisait pas d'être présent pour participer à la course : encore fallait-il parvenir à se qualifier pour accéder à la grille. Le contrat de Ratzenberger ne couvrait que six courses, alors il lui fallait vite se mettre dans le bain et en évidence. Or, ses débuts se firent dans l'impréparation quasi complète lors du GP du Brésil qui ouvrait la saison : découvrant une voiture à peine montée la veille, il n'y eut pas de miracle. Et cette première course en F1, il allait la vivre en spectateur.

L'épreuve suivante, le GP du Pacifique, allait lui offrir une opportunité en or. Couru sur le circuit d'Aida, dont il était à l'époque l'un des rares pilotes à avoir roulé dessus lors de son passage au Japon, il offrit à Ratzenberger sa toute première qualification pour une course en F1 et son premier départ en Grand Prix, avec une 11e place finale à la clé, 5 tours derrière Michael Schumacher. Un premier départ qui, en réalité, allait être le seul.

Lire aussi :Imola 1994 : les derniers jours de Roland Ratzenberger

Une mort dans la lumière

Quinze jours plus tard, la Formule 1 débute sa saison européenne par le Grand Prix de Saint-Marin, à Imola. Pour Simtek, il va encore falloir batailler pour se qualifier. En proie à des difficultés avec ses freins, Ratzenberger cède provisoirement sa voiture à son équipier David Brabham afin qu'il la teste. L'Australien confirme les dires de l'Autrichien, les freins sont donc changés et les choses vont mieux. 

Mais ce vendredi 29 avril 1994, c'est sur Rubens Barrichello que la lumière est brusquement braquée. Le Brésilien subit un énorme accident lors de la première séance de qualifications : il perd le contrôle de sa Jordan qui décolle à 225 km/h sur le vibreur de la Variante Bassa. Le choc avec les barrières est effroyable et est suivi par plusieurs tonneaux. Inconscient mais vivant, Barrichello s'en tirera avec un nez et un bras dans le plâtre, qu'il affichera le lendemain dans le paddock. 

Passée la frayeur, le forfait du pilote Jordan ne veut dire qu'une chose : il n'y aura qu'un seul éliminé parmi les équipes se battant pour accéder à la grille. Aussi, la pression est forte sur les épaules de Ratzenberger pour ne surtout pas être celui-ci, lui qui est déjà à la moitié de son contrat. La seconde séance de qualifications, le samedi, débute alors avec en tête la confrontation directe avec la Pacific de Paul Belmondo. Et effectivement, l'Autrichien est d'emblée plus véloce.

Roland Ratzenberg à bord de la Simtek lors du Grand Prix de Saint-Marin 1994.

Puis survient alors l'évènement qui allait précipiter son destin : un passage manqué dans la chicane Acqua Minerali et un vibreur escaladé un peu fort. Impossible d'en être sûr à 100%, mais l'aileron avant de la Simtek a sans doute été abîmé à ce moment-là. Les données de l'écurie montrent qu'ensuite, Ratzenberger a zig-zagué puis freiné fort dans la remontée vers les derniers virages, a priori pour s'assurer qu'il n'avait pas de dégâts. Aurait-il fallu rentrer au stand pour une vérification ? La question s'est sans doute posée dans son esprit, mais ce ne fut pas son choix.

Quelques virages plus loin, alors qu'il venait d'entamer à l'attaque un nouveau tour lancé, l'aileron allait rompre à l'un des pires endroits de cette piste ultra-rapide, avant le virage Villeneuve. Une partie de la moustache se détache et s'envole, l'autre se glisse sous l'avant de la Simtek. Devenue incontrôlable, elle tire droit dans dans le mur de béton à 314 km/h, sans pouvoir la ralentir vraiment et sans aucun dispositif de protection pour atténuer l'impact. La violence du choc est estimée à 500 g.

L'incident en lui-même s'est quasiment déroulé hors champ des caméras, en dehors d'une vidéo amateur qui ne permet pas vraiment s'en saisir toute la violence. Mais dans l'esprit de beaucoup de gens, même de ceux qui ne les ont pas vues en direct ou à l'époque, ce sont bien sûr les images de cette interminable glissade dans l'herbe de la Simtek, réduite à l'état d'épave, et la vision de ce casque blanc et rouge balançant de gauche à droite, d'avant en arrière, avant de lentement s'incliner sur la gauche, qui restent. On ne le saura qu'après, mais sa mort fut instantanée, il n'y avait aucun espoir de survie.

Quelques débris de la Simtek S941 de Roland Ratzenberger après son accident fatal.

Rétrospectivement, ce qui allait se passer le lendemain allait un temps éclipser le décès de Ratzenberger, mais sur le coup, pour la génération des pilotes et des suiveurs de la Formule 1 de l'époque, la mort était devenue un lointain souvenir. Et c'était un véritable choc. Ricardo Paletti était le dernier pilote tué en Grand Prix, en 1982, et la mort en essais privés d'Elio de Angelis, au Castellet en 1986, avait surtout été mise sur le compte d'une organisation défaillante côté secours.

Depuis lors, l'on avait vu une série d'accidents violents "bien" se terminer, en tout cas sans décès. On ne mourait plus en F1. Paradoxalement, l'accident de Barrichello la veille avait été vu, sur le coup, comme une preuve de plus. Avec le recul, l'accident du Brésilien est bien entendu narré comme le signe annonciateur des tragédies. Plus globalement, la saison 1994, marquée par des restrictions importantes en matière d'aide au pilotage, avait déjà vu plusieurs accidents violents (JJ Lehto lors d'essais hivernaux, Jean Alesi lors d'essais privés...) et en verra d'autres (Karl Wendlinger à Monaco, Andrea Montermini à Barcelone) ; suffisant pour entamer sans attendre une refonte complète de la sécurité et une nouvelle ère pour la discipline.

Après sa mort, Simtek courra à Monaco avec l'inscription "For Roland" ("Pour Roland") sur la boîte à air de sa seule voiture engagée. Lors de l'édition 1994 des 24 Heures du Mans, c'est Eddie Irvine qui le remplacera au sein de l'équipe SARD Toyota mais le nom de l'Autrichien restera marqué sur les flancs de la 94C-V qui franchira la ligne d'arrivée de l'épreuve mancelle en seconde position.

David Brabham, Simtek 941, avec un message en hommage à Roland Ratzenberger lors du GP de Monaco.

Photo de: Andre Vor / Sutton Images

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