«APRèS MON 1ᵉʳ MARATHON, J'AI RESSENTI UN GRAND VIDE»: UNE ROMANDE RACONTE

Elia Scheidegger a vécu l'ivresse d'une première participation sur la distance mythique en avril dernier à Paris. Mais cette expérience a aussi bouleversé physiquement et mentalement cette Yverdonnoise de 20 ans. Témoignage.

Elle est arrivée au rendez-vous en boitant, juste après sa séance de physio. La pluie perlait sur son manteau et un sourire fataliste se dessinait sur son visage. «J'ai très mal au genou gauche. Je pense que le ménisque est touché et que je n'échapperai pas à l'opération.» Elia Scheidegger a commandé un flat white, son café préféré, puis elle a accepté de revenir longuement sur les six derniers mois qui ont changé son quotidien, et sur le moment où tout a basculé: son inscription à son premier marathon.

Contrairement à beaucoup de coureurs amateurs, la distance mythique (42,195 km) n'était pas un rêve qu'Elia avait en tête de longue date.

«C'est venu en avril 2023, après avoir participé au 10km de Lausanne. Ce jour-là, j'ai été au bout de l'épreuve (réd: terminée en 56 minutes). Je me suis soudain rendu compte que j'étais capable de courir, bien que je souffre d'un asthme à l'effort depuis toute petite. Ça a été un déclic. Je me suis dit que je n'étais plus limitée dans ma pratique de la course à pied et, quelques mois plus tard, j'ai décidé de faire un marathon.»

Elle opte pour celui de Paris, ouvert à toutes et tous sur inscription. Elle valide sa participation au mois d'octobre 2023, ce qui lui laisse six mois pour s'entraîner et faire de son corps, jusque-là façonné par des années de musculation, une machine de guerre sur longue distance.

«Etant personal trainer de formation, je me suis fait un plan d'entraînement sur un document Excel, à raison de quatre séances par semaine: une de renforcement musculaire et trois de course à pied, avec pour chacune un contenu différent (sortie longue, intervalles, etc.).»

Les problèmes sont arrivés très tôt, plus exactement après deux mois d'entraînement. Nous sommes en décembre et Elia ne peut plus poser le pied par terre.

«J'avais un mal de chien, je ne pouvais plus courir à cause d'une périostite (réd: affection caractérisée par une douleur intense ressentie au niveau du tibia) à la jambe gauche. J'avais pourtant suivi mon programme à la lettre, mais il y avait peut-être trop de choses à gérer à ce moment-là: je travaillais à 100% comme barista (personne spécialisée dans la préparation de boissons au café) durant la semaine et je terminais ma formation de personal trainer le week-end. Réussir à caser toutes mes séances dans ces conditions, de surcroît dans la nuit et le froid de l'hiver, c'était compliqué.»

L'Yverdonnoise est au repos forcé.

«J'étais déçue et énervée. J'avais été très attentive à la récupération et à l'alimentation, j'avais tout fait juste et la blessure est quand même arrivée. J'aurais pu remplacer la course à pied par d'autres sports, comme le vélo, la natation ou le rameur, mais je ne l'ai pas fait et ça a été une de mes erreurs. La blessure m'a mis un tel coup au moral que je n'avais plus rien envie de faire.»

Ce mois sans sport ne lui permet toutefois pas de guérir entièrement de sa blessure. Dans un monde idéal, la jeune femme aurait dû reposer sa jambe gauche, mais son travail de barista ne lui permet pas de s'économiser: Elia fait au minimum 12 000 pas au quotidien.

«Je ressentais la douleur à chaque fois que j'allais courir. Du coup, j'ai réduit mon volume d'entraînement à une seule séance par semaine, mais le temps commençait à presser. Quand le mois de février est arrivé, je me suis mise à compter les semaines: il ne m'en restait que huit avant le départ du marathon de Paris le 7 avril. Je me suis alors demandé si c'était bien raisonnable d'y participer.»

Ses doutes se sont toutefois très vite dissipés. Elia dit d'elle-même qu'elle déteste renoncer à ses objectifs et que son ego de sportive a pris le dessus lorsqu'elle a dû se déterminer. Elle trouve donc seule, et sans pression de son entourage («mon conjoint et ma famille auraient compris mon choix de renoncer»), un moyen de poursuivre sa préparation.

«Faire ce marathon avait une vraie signification pour moi. Quand j'étais plus jeune, entre mes 14 et mes 18 ans, j'ai eu de gros problèmes de santé. Ça a été de longues années. J'avais désormais envie de prouver à moi-même que mon corps pouvait fonctionner à nouveau comme il fallait. C'était un peu une revanche sur la vie.»

Elle contacte une coach et lui demande un programme d'entraînement de huit semaines sur marathon. Son seul objectif: finir la course, si possible en moins de 4h30. Sa démarche est importante: elle rappelle qu'on peut très bien commencer une prépa marathon avec un plan, et en changer selon les circonstances (dans son cas, une blessure).

Après avoir «un peu rigolé» quand elle a appris que la course était dans huit semaines, Anouchka (la coach) se met au travail et fait parvenir chaque semaine à sa cliente un planning d'entraînement. Elia n'a plus une seule course devant elle, mais deux: la première, c'est d'être au départ; la seconde, de finir le marathon.

«Je recevais chaque dimanche un programme pour la semaine à venir mais avec la douleur de la périostite, je n'arrivais jamais à faire les séances telles qu'elles étaient prévues. Il m'est arrivé de stopper une sortie après 2 km alors que je devais faire 15 bornes. Parfois, je ne m'entraînais même pas. C'était très bizarre, parce qu'il m'est aussi arrivé, durant la même période, de faire de longues sorties sans douleur. Je ne savais jamais vraiment à quoi m'attendre avec cette inflammation.»

Pour atténuer les effets de la blessure, la coureuse choisit les auto-massages au baume du tigre plutôt que les anti-inflammatoires. Et le 7 avril, elle est sur la ligne de départ du marathon de Paris, le dossard 61553 épinglé sur son tee-shirt.

«C'était fou! Je n'avais pas mal au départ, au contraire: j'avais une dose énorme d'adrénaline. Les 25 premiers kilomètres se sont super bien passés, c'était incroyable, je n'avais pas la moindre douleur, la température était parfaite et j'étais même un peu plus rapide que mon allure habituelle.»

Tout bascule au 30e km. L'Yverdonnoise prend de plein fouet le fameux «mur» (un phénomène physiologique bien connu des runners qui correspond à l'épuisement des réserves de glycogène). Elle ne renonce pourtant pas, marche sur certaines portions et franchit la ligne après 5h d'effort pile.

Elle est à la fois fière et exténuée. Elle a mal à la jambe gauche, cette fois au genou (un faux mouvement sur un secteur pavé), mais il y a une autre blessure, plus sournoise, plus silencieuse, que l'athlète doit gérer après la course.

«Dans le train du retour le lendemain, je me suis pris la réalité en pleine face, c'était comme une claque. Je me disais: je vais rentrer chez moi et je n'aurai plus ce truc qui me faisait me lever le matin, ce grand objectif qui rythmait ma vie. Je ressentais de la tristesse, mais surtout un vide. La vie avait perdu du goût. Je n'avais plus envie de rien. Dans les jours qui ont suivi, je bossais, je rentrais et je dormais.»

La coureuse de 20 ans ne s'attendait pas à vivre une situation aussi compliquée émotionnellement.

«On entend parfois parler d'une sorte de burn-out du coureur après un marathon, on sait que ça existe, mais les gens ne parlent pas de ce que ça représente et de ce que les personnes qui en font l'expérience vivent. Moi, je m'attendais à passer des moments compliqués après la course, mais pas à ce point, pas aussi fort.»

Avec le recul, aurait-elle dû changer quelque chose? Anticiper la période difficile de l'après? S'y préparer?

«Oui. J'aurais aimé qu'il y ait quelque chose pour me récupérer dans cette chute sans fin. J'aurais pu prévoir un massage relaxant après la course, pourquoi pas un séjour dans une ville le week-end suivant.»

Dix jours passent, puis deux semaines. Le temps apaise son âme de coureuse, mais pas sa jambe gauche. C'est même de pire en pire.

«J'avais tellement mal que je me réveillais la nuit et ne pouvais plus poser la jambe par terre. Je me rendais aussi compte que mon genou ne m'offrait plus aucune stabilité, je partais vers l'avant à chaque petite descente à emprunter à pied, ce qui commençait à m'inquiéter. J'avais fait ce marathon pour me prouver que mon corps était capable de me porter loin, et je n'avais pas envie de devoir refaire tout ce processus.»

Le médecin généraliste lui prescrit des séances de physio, mais Elia ne se fait pas trop d'illusion: une IRM l'attend, avant peut-être, et selon la gravité de la blessure, une opération du ménisque. Cela fait un mois désormais qu'elle a franchi la ligne d'arrivée du marathon de Paris, de l'eau a coulé sous les ponts de Seine, alors on lui demande: si c'était à refaire?

«Je le referais, mais avec un mois de préparation en plus! J'ai appris plein de choses dans cette aventure, j'en ai tiré des leçons. Le marathon m'a prouvé que j'étais capable de faire quelque chose dont je me sentais incapable, donc de dépasser ce qui étaient mes limites. Il a aussi renforcé ma discipline, ma capacité à être constante, structurée. J'ai aussi appris à être plus indulgente envers moi-même, car avec la blessure, il y a plein de séances d'entraînement que je n'ai pas pu faire. Or, je suis la première à culpabiliser lorsque les choses ne se passent pas comme prévu. Cette fois, j'ai dû faire preuve de souplesse, trouver des compromis, d'autres solutions.»

Elia Scheidegger saura dans quelques semaines si elle devra se faire opérer du ménisque. Elle prendra de toute façon le temps nécessaire pour se soigner avant de s'inscrire à un marathon dans une autre ville. Car les galères qui ont entouré sa course parisienne ne l'ont nullement ralentie. «Franchir la ligne d'arrivée a été un accomplissement, insiste-t-elle. C'est quelque chose qui m'a rendu fière. Il y a eu la blessure, bien sûr, et la période difficile des jours suivants, mais je ne regrette absolument rien.»

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