«PAS DU GENRE à BAISSER LES BRAS»: APRèS LA TRAGéDIE DE TOKYO, ROBIN GODEL SE REMET EN SELLE

Si la dernière médaille pour la Suisse dans le très relevé concours complet date de 1960, Robin Godel, ce Fribourgeois courageux qui sort d’une belle saison, vise une récompense par équipe. Pour oublier le drame vécu aux Jeux de Tokyo.

De son box, le champion finit par passer une tête. Ses grandes oreilles tournées vers l’avant, le toupet en brosse lui donnant l’allure d’un poney, Grandeur de Lully s’avance timidement pour nous saluer. Robin Godel lui passe un licol et sort l’imposant athlète de l’écurie pour la séance photo. Hic: le trépied du photographe – ne parlons pas du flash – inquiète le modèle du jour. Rassuré par les caresses et la voix calme de son cavalier, le hongre finira par prendre la pose. «C’est le cheval le plus peureux de mon écurie, s’amuse son cavalier. À 16 ans, il fait encore des écarts en promenade. La semaine dernière, alors qu’un journaliste était là, il a pris peur, s’est mis à ruer et je suis tombé. J’ai eu l’air malin…»

Pourtant, lorsqu’on voit ce puissant bai s’élancer sur un parcours de cross de plusieurs kilomètres, survoler d’imposants obstacles, des buttes, des troncs et traverser rivières et gués à vive allure, rien ne laisse deviner sa sensibilité. Or, derrière cette apparente fluidité, il y a des années de travail, beaucoup de patience, de la sueur et des... chutes. «J’avais 15 ans quand j’ai commencé à le monter, se souvient le Fribourgeois aujourd’hui âgé de 25 ans. Grandeur avait peur de tout et m’envoyait valdinguer dans les airs. Je tombais toutes les semaines! On ne peut pas dire que c’était le grand amour entre lui et moi, au début...»

Complicité sans faille

Mais la mère de Robin, cavalière elle aussi, en est persuadée: le cheval, propriété de l’éleveur Jean-Jacques Fünfschilling, tient plus du crack que du canasson. Elle convainc son fils de s’accrocher et puis, «dans la famille, on n’est pas du genre à baisser les bras», assure-t-il, le sourire en coin.

Le déclic finit par arriver. Les concours et les victoires s’enchaînent pour le duo. D’abord chez les jeunes cavaliers, avec des participations aux Européens, puis chez les «grands». Champion suisse élite en 2021, vainqueur des très relevées Coupes des nations à Avenches et à Pratoni del Vivaro (IT), 15e des Championnats du monde en 2022. En 2024, c’est simple, ils ont gagné toutes les compétitions auxquelles ils ont participé en concours complet (CC), l’épreuve reine de l’équitation. Une discipline composée de trois épreuves partielles – le dressage, le saut d’obstacles et le cross – qui demande agilité, endurance, courage et polyvalence. Et une complicité sans faille entre le cavalier et sa monture.

Si ce sport demeure encore peu connu du grand public en Suisse, en Grande-Bretagne, c’est une autre histoire. L’épreuve mythique du cross du CCI 5* de Badminton peut attirer jusqu’à 250'000 spectateurs le long du parcours dans une ambiance so British. Mais dans la petite Helvétie, difficile de vivre de sa passion. Robin Godel, devenu cavalier professionnel en 2021, doit jongler entre de multiples activités: le commerce de chevaux de saut, les cours dispensés à une quinzaine d’élèves et le travail sur des chevaux de propriétaires. «Évidemment que le rêve serait de ne faire que du haut niveau, de préparer et de monter des chevaux pour atteindre le top, mais il faut être réaliste…» admet-il, lucide.

«Du rêve au cauchemar»

Et puis le concours complet est moins médiatisé que le saut d’obstacles, discipline équestre tirée par des locomotives comme Steve Guerdat ou Martin Fuchs. «Mais avec les bons résultats de l’équipe ces dernières années, on commence à gagner en visibilité. Et nous sommes davantage soutenus par Swiss Olympic. On est sur le bon chemin», se réjouit Robin Godel.

Un chemin qui les mènera tout droit vers Paris pour les Jeux olympiques, lui et ses coéquipiers, la Romande Mélody Johner et l’Alémanique Felix Vogg. Objectif? Décrocher une médaille par équipe. La performance serait historique, la dernière breloque de la Suisse en concours complet remonte aux JO de Rome, en 1960. «Ce ne sera pas facile, mais j’y crois. On est un peu en dessous des Allemands ou des Anglais en dressage, mais avec le cross, on devrait pouvoir remonter au classement», analyse le sportif. En individuel, Robin Godel vise un top 8. «Avec Grandeur, on ne parvient pas à être tout devant en dressage. L’idéal serait d’être dans les dix premiers et ensuite de grappiller des places en cross et en saut en déroulant des parcours sans fautes. Je suis confiant, on a fait une super saison.»

Forcément, ces Jeux auront une saveur particulière pour Robin, après le drame vécu à ceux de Tokyo en 2021. Victime d’une déchirure de ligament de l’antérieur sur le parcours de cross, son cheval Jet Set avait dû être euthanasié peu après.

«En deux secondes, je suis passé du rêve au cauchemar, confie-t-il avec pudeur. Ça a été très dur à vivre pour moi.» A la douleur de perdre son compagnon et son rêve olympique s’est ajoutée celle venue des réseaux sociaux, notamment de la part de militants antispécistes. «J’ai reçu de nombreuses critiques et même des menaces de mort de personnes qui ne connaissent rien au milieu, qui ne comprennent pas notre sport et ne voient pas à quel point on prend soin de nos chevaux. J’ai fait le maximum pour m’en tenir à l’écart et me préserver.»

Un tatouage en hommage

Comment se remettre en selle et se reconstruire après un tel événement? La compétition. Un mois après Tokyo se tenaient les Championnats d’Europe dans son jardin, à Avenches. «Cela m’a permis de ne pas trop cogiter, je n’avais pas d’autre choix que de continuer. C’était une bonne chose», assure celui dont on devine que la cicatrice a pris du temps à se refermer.

A quelques jours de se rendre à Paris, le sportif se montre serein. «La blessure de Jet Set aurait pu survenir dans un parc ou lors d’une galopade. C’était un accident. Ce n’est pas lié aux concours, ni aux Jeux. Je ne ressens donc pas d’appréhension particulière à l’idée de participer à ces Jeux.»

Le parcours de cross promet d’être spectaculaire et prendra place, excusez du peu, dans le parc grandiose du château de Versailles. Les yeux de Robin pétillent: «Je vais redécouvrir les Jeux. L’ambiance à Tokyo était particulière. On a dû concourir à huis clos, à cause de la pandémie. Sans parler de ce qui s’est passé...»

Sur son bras, on remarque un tatouage. Cinq anneaux olympiques décorés d’une petite étoile filante. Robin Godel sourit: «C’est pour Jet Set.»

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